Voici une petite nouvelle (enfin pas tellement), de mon cru:
Coupable sans l’être…
Assise confortablement dans mon fauteuil, les jambes ramenées contre ma poitrine, je ne cesse de scruter cet objet de malheur. Je cherche à comprendre, je n’y arrive pas. Alors, faute de quoi, je me souviens…
-« Melle Ania Vetila, vous comparaissez aujourd’hui devant ce tribunal, siégeant à Reims, pour le meurtre de Mr Benoit Legeant. Avez-vous une quelconque déclaration à faire avant que le procès ne commence? »
Debout, dans le box des accusés, je ne bougeai pas d’un pouce. Mon regard restait fixé sur la vitre sale à ma gauche. En pleine contemplation de mon reflet difforme, je remarquais avec horreur la transformation que j’avais subie. Mes mèches d’un brun terne pendaient tristement autour de mon visage émacié, et la lueur dans mes yeux bleus, d’un bleu si jalousé autrefois, s’était éteinte… sûrement à tout jamais. Je peinais à me reconnaître, et pourtant, c’était bien moi. Montrée du doigt, haïe et humiliée. Oui, aucun doute, Ania, c’est moi. La meurtrière.
Interprétant mon mutisme pour un aveu de plus, le juge continua donc son monologue.
-« Rappelons tout d’abord les faits : le jeudi 19 janvier à une heure du matin, Mme Brunat, voisine de la victime, se réveille en sursaut. La cause ? Un coup de feu provenant de la maison jouxtant la sienne, ayant comme propriétaire Mr Legeant. Affolée, elle alerte la police qui arrive sur les lieux quelque temps plus tard. Et voici donc ce qu’elle trouve: Melle Vetila, ici présente, tenant un pistolet entre les mains et contemplant le corps de sa victime, tuée d’une balle en plein cœur. »
J’avais décroché dès le début du récit. Je repensais à la prison où l’on m’avait enfermée en attendant le procès. Sombre, humide… J’y ai ressassé des journées entières ces images insoutenables… Benoît mort, baignant dans son sang, Benoît mort, le visage encore ravagé par les larmes.
-« […] et donc j’appelle à la barre Mme Brunat. »
La dénommée se leva et se précipita là où l’on venait de l’appeler, manquant au passage de renverser les avocats se tenant devant elle. Passées les formalités d’usage, la vieille femme commença son histoire, d’une voix trahissant son excitation totalement déplacée. Car elle, mère de famille à la vie banale et sans intérêt se trouvait enfin sur le devant de la scène!
-« … le coup de feu m’a fait revenir brusquement sur terre, et je me précipitai à la fenêtre, non sans secouer mon mari René, qui continuait à ronfler comme une locomotive. Je remarquai tout de suite la voiture de Melle Ania, et je craignais un malheur.
-Pourquoi cela? l’interrompit le juge d’une voix pressante.
-Et bien parce que, dans le quartier, cette demoiselle n’était guère appréciée… et personne ne voyait d’un très bon œil cette soudaine relation qu’elle entretenait avec Benoît. En plus elle détestait mon chat; alors croyez bien que…
-Restons-en aux faits s’il vous plait! La coupant une nouvelle fois, le juge paraissait maintenant nettement agacé. Quant à moi je retenais un petit rire dans mon coin. Cette commère n’hésitait pas à en rajouter « des couches », mais cela ne m’étonnait pas vraiment. Mme Brunat n’appréciait pas le dérangement dans ses petites habitudes, alors forcément, lorsque Benoît se mit à me fréquenter, elle consacra son temps à nous espionner. Moi, qui osai, un jour, comparer son chat à une vulgaire boule de poils incontinente! Forcément… ça ne créait pas les liens.
-…et au final, je ne m’étais pas trompée! Cette garce ne mérite aucune clémence! »
Enfermée dans mes pensées, voyant à peine les témoins défiler les uns après les autres, me gratifiant d’un regard haineux à chaque passage, les souvenirs se mirent à affluer…
Dès que nos yeux se croisèrent je compris que jamais je ne pourrais accomplir ce pour quoi j’étais venue. Il offrait un regard si doux, à la fois empli de sagesse et enfantin… nous sommes tombés mutuellement sous le charme l’un de l’autre. Nous nous complétions entièrement. Mais une mission m’avait été confiée et je me devais de la mener à bien.
Benoît ne connaissait nullement les problèmes d’argent, et de plus, il m’influençait… trop aux yeux de ceux pour qui je travaillais. Cette influence de Benoît s’intensifia encore et elle me transforma. Je compris qu’il ne méritait pas d’être mêlé à toutes ces histoires et que je ne pouvais lui faire subir cela. Alors je me pris à penser que, après tout, je demeurais libre de mes actes, j’oubliai donc ce que j’étais venu faire dans ce paisible quartier bourré de gens pleins aux as, qui, malheureusement pour eux, avaient éveillé l’attention du groupe auquel j’appartenais. Mais ces gens-là n’oublient pas. Et moi qui prônais depuis toujours la liberté absolue, je me rendais brusquement compte qu’en m’engageant sur une pareille route je m’étais moi-même passé les chaînes aux poignets.
-« Mesdames, messieurs les jurés, je vous propose à présent de délibérer. L’accusé n’ayant manifesté aucune réaction depuis le début du procès, je suppose que cela ne sera guère complexe. Je rappelle au passage que cette jeune femme est recherchée dans plusieurs villes pour avoir été mêlée de près ou de loin à certains cambriolages récents… La peine encourue se monte à 20 ans de prison ferme. »
La prison! Non, je ne voulais plus y retourner, j’ai déjà été enfermée toute ma vie avec pour geôliers des gens que je prenais pour des amis… Le pensée de la cellule me fit prendre conscience d’une chose : je le méritais. Car pendant tout ce temps que je passerai à purger ma peine, je me remémorerai sans cesse cette peur… cette peur immense et indescriptible qui m’avait envahie alors que je garais ma voiture devant chez Benoît, le soir de sa mort.
Un tumulte retentit alors dans le hall, et un homme, un policier, entra avec fracas dans le tribunal. Il s’excusa auprès du juge et lui tendit une missive. A mesure que celui-ci la lisait, je vis la stupeur se peindre sur son visage. Le magistrat eut du mal à reprendre contenance et, une fois le papier replié et le messager sorti, il s’adressa à la salle d’une voix tremblant d’une émotion mal contenue:
-« Ce message vient de m’être transmis par les membres de la criminelle. Ayant fait analyser l’arme du crime, ils avaient remarqué que l’un des résultats ne leur était pas parvenu. Mais les analystes leur avaient assuré qu’aucune anomalie ne pouvait remettre en cause la culpabilité de Melle Vetila. Seulement, ce matin, ils ont reçu le dossier manquant, mystérieusement sans aucune trace de sa provenance… Ce document retrouvé remet tout en cause. Car, en effet, il montre que les empreintes digitales de l’accusé ne figurent que sur le canon de l’arme et non sur la gâchette… en revanche les traces retrouvées sur la détente correspondent à celles… de la victime! Ils concluent donc à un suicide. »
Un léger murmure monta de la salle, puis un des jurés se leva et un silence se fit, long, pesant.
-« Les jurés ont délibéré. »
Un homme à l’allure débonnaire, d’une quarantaine d’années, venait de prononcer ces mots. Le juge le regarda avec surprise et lui fit signe de continuer.
« -Avec ces nouveaux éléments et malgré le casier judiciaire de cette jeune femme, nous la déclarons… non coupable.»
A cette annonce, je restais de marbre. Tandis que dans la salle, des murmures recommençaient à s’élever…
« -Je souhaiterais le silence! Melle Ania Vetila est donc déclarée : non coupable! Le procès se termine ici. Bonne journée à tous. »
C’était faux. Ils avaient tort, car je demeure l’unique coupable, coupable d’avoir aimé. J’étais folle de lui et notre relation passionnée a inquiété mes prétendus amis. Ils ont craint que je ne leur fournisse pas les informations relatives au cambriolage qu’ils envisageaient dans le quartier… Ils ont utilisé Benoît comme un moyen de pression…alors, je suis partie. Faisant croire à l’amour de ma vie que je n’avais fait que l’utiliser, sans jamais l’aimer. Je voulais le protéger… j’ai échoué. Ce jeudi là, il me laissa un message enflammé qui me fit entrevoir le pire… Je me précipitai chez lui… trop tard. La mort frappa alors que je m’approchais du seuil de la maison. La douleur a été telle que je ramassai le révolver… essayant de comprendre. Autre échec. Les larmes ne vinrent pas car la douleur que j’éprouvais dépassait l’entendement. Ce n’est que lorsque la police débarqua que je compris l’horrible vérité : « J’avais tué l’homme de ma vie. »
Depuis la fin du procès, je reste chez moi. Assise dans mon fauteuil, tournant et retournant entre mes doigts cette arme de malheur… Je cherche à comprendre, je n’y parviens pas. Et puis, une pensée m’envahit peu à peu: j’aurais beau être libre, je resterais enfermée, enfermée dans la prison de mon cœur. La seule d’où nul ne s’évade…